Bonjour Nicolas, qui es-tu ? Et où sommes-nous ?
Je m’appelle Nicolas Chottin, et nous sommes dans les locaux du CSAPA Le Peyry (Centre de Soin d’Accompagnement et de Prévention des Addictions) où je travaille. Ce centre fait partie du CEIIS, une association lotoise qui s’occupe à la fois des addictions sur la partie santé, de l’inclusion sociale et des demandeurs d’asile. Au sein du CEIIS, il y a le CSAPA Le Peyry, et le CAARUD (Centre d’Accueil et d’Accompagnement des Risques des Usagers de Drogues). On fait un travail complémentaire.
Comment t’es-tu retrouvé à travailler pour le CSAPA Le Peyry ? Quel est ton parcours ?
J’ai été accueilli en 2010 par le CSAPA Le Peyry dans le cadre de mes addictions. Je ne m’en sortais plus tout seul et j’avais besoin d’’aide. J’ai donc entamé un parcours de soin et de réflexion personnelle, qui m’a amené vers un rétablissement. Je ne suis pas de la région, j’ai donc entamé à l’époque un processus de soin, d’abord au CTR (Centre Thérapeutique Résidentiel) à Pern, qui fait partie du CSAPA Le Peyry. C’est un accueil en structure fermée qui permet à la personne de se mettre à l’écart des consommations et des tentations, c’est un lieu un peu protégé. Ensuite, je suis allé en famille d’accueil pendant 5 mois, puisque le CSAPA Le Peyry a un dispositif de familles d’accueil pour accueillir des personnes en soin dans le cadre de leurs addictions. J’étais chez des viticulteurs !
Est-ce que ça n’a pas été difficile de résister aux tentations qu’il peut y avoir chez des viticulteurs ?
Bien sûr qu’il faut éviter les tentations et ça peut faciliter de ne pas être au contact de la substance, mais dans le monde dans lequel on vit aujourd’hui, la substance est partout, particulièrement l’alcool. Les autres substances aussi, il suffit de taper sur internet et on a un produit qui arrive dans notre boîte aux lettres. Si on a envie d’en prendre, c’est facile. Du coup, la démarche est quelque chose qui part de soi. La capacité d’agir, ou ce que les anglo-saxons appellent l’empowerment. La puissance d’agir part de soi, des capacités que l’on se reconnaît pour soi, comme étant capable de changer les choses. Quand on est addict, on a tendance à penser que la substance est plus forte que soi, c’est une erreur. Il faut arriver à contrebalancer cette pensée, cette croyance.
Avoir été 5 mois chez des viticulteurs, ça t’a permis de faire ce travail là ?
Il y avait l’activité de s’occuper des vignes, j’étais dans une démarche d’abstinence. Je n’ai pas été plus tenté que ça. J’étais dans une dynamique positive. Même s’il y avait des jours où ça allait plus ou moins bien, j’avais aussi un traitement de substitution à côté qui fait partie du soin.
Ces traitements, c’était dans le cadre du CSAPA Le Peyry ?
Oui, j’ai été suivi depuis le début par le médecin du CSAPA Le Peyry. J’ai entamé un traitement de substitution aux opiacés, pour moi c’était la méthadone sur plusieurs mois.
Un jour tu n’as plus eu besoin d’aller dans des familles d’accueil, d’aller dans des centres et de prendre un traitement de substitution. Comment ça s’est passé ?
Entre temps, je suis aussi passé en appartement thérapeutique relais. J’étais suivi à Cahors. Puis pour ne plus avoir besoin de ce suivi, c’est quelque chose qui se construit au fur et à mesure. On n’arrête pas les traitements de substitution du jour au lendemain. J’ai entrepris une démarche de vouloir diminuer et arrêter la méthadone : ça s’est fait sur un an et demi. La diminution progressive permet d’éviter l’effet de sevrage qui risque d’être important avec des conséquences émotionnelles trop fortes qui remettent dans une situation de fragilité, une vulnérabilité vis à vis des substances.
Tu as pu franchir toutes ces étapes grâce au CSAPA Le Peyry, et un jour ils t’ont proposé un poste ? Comment ça s’est passé pour que tu te mettes à travailler pour eux ?
Depuis que je suis arrivé dans l’association, il y a un travailleur social qui a été porteur d’une dynamique, avec l’institution. Depuis la loi 2002 sur la participation des usagers, il est possible pour les personnes qui sont accueillies dans les services de venir questionner l’institution dans sa manière de faire. Depuis que cette loi est instaurée, il y a un certain nombre d’outils qui ont été mis en place, notamment les conseils de la vie sociale. Il a donc été question d’élire des représentants d’usagers. Mais il y avait aussi la possibilité d’être intégré dans les services en étant salarié à travers la médiation de santé pairs. Le CSAPA Le Peyry a choisi cette option, en intégrant des personnes qui ont un parcours de soin, d’addiction, de précarité, d’exclusion, au sens large, et de les intégrer en tant que salariés dans les services : ça permet d’apporter leur vision des choses, ce qu’on appelle leur savoir expérientiel, auprès des personnes accueillies, mais aussi des professionnels. Cette participation montre aussi que le professionnel n’est pas le seul à savoir : ça remet une horizontalité dans les rapports entre soignants et soignés, entre usagers et professionnels. Ce n’est pas le professionnel qui a un savoir, c’est quelque chose qui se co-construit à deux.
Et ça peut aussi éviter le rapport un peu paternaliste qu’on peut trouver dans certains milieux médicaux, ou même dans des entreprises…
C’est tout à fait ça. On évite ce rapport où il y a ceux qui savent d’un côté et ceux qui ne savent pas de l’autre, ou alors la théorie d’un côté, et la pratique de l’autre. Il faut effacer la frontière. Le médiateur crée un espace tiers pour réunir les personnes accueillies et les professionnels.
Quel est ton travail au CSAPA Le Peyry ?
J’ai donc commencé comme médiateur de santé pair : je m’occupe principalement d’animer des groupes de paroles sur le pôle addiction et sur le pôle précarité dans le but d’améliorer notre qualité de vie. Je dis « notre qualité de vie » car je ne suis pas exempt des réflexions et des apprentissages qui se jouent dans ces espaces de médiations collectives. Dans ces groupes, on crée un climat de confiance où chacun peut s’exprimer, gagner en esprit critique et une connaissance de soi beaucoup plus importante : nous questionnons ensemble médiateurs de santé pairs, personnes accueillies et professionnels, notre rapport à l’addiction, notre rapport à l’autre, notre rapport au monde qui nous entoure, dans une réappropriation de notre puissance d’agir. Quand je témoigne de mon parcours, cela permet aux gens de se sentir autorisé de parler du leur. La direction que va prendre le groupe n’est pas décidée à l’avance, elle est créée par l’ensemble des participants. C’est ensemble que l’on construit.
Comment ça se passe pour une personne qui contacte le CSAPA Le Peyry pour la première fois pour un problème d’addiction ?
La personne appelle la secrétaire qui oriente soit vers le médecin soit vers un éducateur soit vers un psy. Parfois, ça peut aussi arriver que ce soit moi qui soit le premier contact. En fait, ça se fait spontanément.
Comment ça se passe pour déterminer le type de parcours dont la personne peut avoir besoin ?
Souvent, les usagers savent ce qu’ils ne veulent plus, mais pas forcément ce qu’ils veulent. Donc en premier lieu, on travaille avec la personne sur des objectifs. Mais les objectifs qui sont valables aujourd’hui ne seront peut-être pas valables demain, donc on est toujours dans une évolution. On ne décide pas d’un parcours dès le début, ça se fait au fur et à mesure, en fonction des rencontres avec le médecin, avec le psy, avec le médiateur, avec l’infirmière…
Les addictions peuvent être très larges : les drogues, l’alcool, le tabac, et même le jeu… Est-ce que les médiateurs ont chacun une spécialité ? Est-ce que tu accompagnes des personnes ayant un certain type d’addiction ?
C’est sûr que puisque je n’ai jamais été joueur, je n’ai pas un vécu par rapport à ça. Mais il y a des choses similaires aux addictions avec produits : les conséquences, la souffrance, cette incapacité qu’on peut avoir à un moment donné à dire « non ». En fait, l’objet de l’addiction en lui-même, avec ou sans produit, ce n’est pas vraiment le problème. C’est surtout le comportement de la personne, ce qu’elle en fait, quelle place l’objet de l’addiction a dans sa vie, et ce que ça crée chez elle. Et c’est tout ça qu’il faut questionner.
Le CSAPA Le Peyry et le CEIIS ont décidé de mettre en place une plateforme qui s’appelle Ôse. Peux-tu nous expliquer ce que c’est ?
A la base, l’idée de Ôse, c’est de pouvoir toucher un public plutôt jeune qui n’a que très rarement des demandes vis à vis de l’addiction. La plupart des jeunes ne sont pas addicts, même s’ils sont face à des consommations qui peuvent être régulières. Cette plateforme permet de répondre à des questions qu’ils peuvent se poser sans forcément passer la porte d’un CSAPA ou du cabinet de son médecin. La plateforme Ôse permet d’aller vers eux. La personne qui est chez elle peut envoyer un sms, un mail ou chatter sur le site. Puis, très vite, le public visé s’est finalement étendu à tous : à tous ceux qui ont des questions à propos de leur comportement, ou à l’entourage et aux professionnels.
Si vous avez des questions par rapport à vos consommations ou à celles d’un de vos proches, où d’une personne que vous accompagnez, prenez-contact avec nous :
Soit par mail : nicolas@ose46.fr
Soit par téléphone : 06 31 16 28 01
Soit sur le chat de www.ose46.fr
Le problème n’est ni la drogue ou l’alcool ou le jeux ou… mais la relation étroite, voire intime, que nous pouvons développer avec des substances psycho-actives ou des comportements, qui peut devenir source de souffrance.